John

  Ce matin, cela fait cinq mois. Cinq mois qu’il nous hante l’esprit. On avait dit qu’on tournerait tôt ou tard la page. Qu’on cessera tous d’y penser, sans devoir l’oublier. Certains y arrivent. D’autres en déprime. Marine, elle a réussi. Elle a su être forte. Elle respire maintenant la joie de vivre. Elle a appris à ré-sourire grâce à une nouvelle personne ; mais aucun n’accepte cela. Pour eux, c’est du remplacement : se trouver un copain trois mois après la mort de John. Elle m’a avoué que c’était pour mieux se réconforter, pour moins y penser. Je ne suis pas Marine. Je n’essaye pas de comprendre, mais elle a sûrement raison. Il n’aurait pas aimé qu’elle se maudisse son absence jusqu’à en perdre un intérêt à vivre. La vie se poursuit même si nos proches en partent. Elle m’a dit qu’elle l’aimera toujours tant qu’il sera près de nous. Car pour elle, il est là. Il n’est pas jamais parti. « Je l’ai aimé, je l’aime, et je l’aimerai toujours. Tant qu’il est dans notre cœur, il vit. Et il est partout autour de nous Sophie… » M’a-t-elle dit. C’est beau ; c’est faux. Pour moi, c’est un mensonge que les gens se forcent à croire pour continuer à vivre sans les êtres aimés. Mais moi, je n’y arrive pas. Cela fait cinq mois. Cinq mois que je m’acharne sur mon sort. Cinq mois qu’il me manque. Qu’une partie de moi m’a laissé planter ici, au beau milieu de ce monde, perdue. Mon petit frère. Maman s’en remet peu à peu. Elle recommence à sortir et à rire. Mais cela ne l’empêche pas de pleurer dans sa chambre le soir. Je l’entends. Moi, je ne pleure pas. Je verse seulement quelques larmes tranchantes.

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    Aujourd’hui, et comme tous les 22 du mois, j’ose pénétrer dans son ancienne demeure. Tout est resté comme il l’avait laissé. Nous n’avons rien touché. Le lit est défait, et sur sa chaise se trouve des vêtements entassés et ses cahiers sont restés sur son bureau, avec un stylo plume encore ouvert. Qu’elle étourdit était-il, il ne l’avait pas refermé. Je me rapproche pas à pas du lit, tout en jetant quelques regards sur ce bazar et ces posters morbides accrochés au mur. J’ose m’asseoir dessus, et je l’imagine : arriver en colère, me disant de dégager, car je n’aime pas qu’il soit dans ma chambre, donc je n’ai rien à faire dans la sienne. Qu’est-ce qu’il était insupportable, mon petit frère. Mais cet insu-portabilité me manque, sans cesse. Son absence me détruit, à petit feu… À l’infini. Dans cette chambre, je le revois vivre. Je m’allonge sur son lit souhaitant retrouver son odeur. Mais je n’y sens qu’une odeur d’ancienneté. Une odeur qui voulait me ramener à la réalité. Maman passe, elle me voit. Elle ne sourit pas. Elle me fait signe de me dépêcher pour le cimetière, comme tous les 22 du mois. Je ne lui réponds pas. Quand elle disparaît de mon champ de vision, je commence à sangloter. Je commence surtout à regretter. Je l’ai trop négligé, mon petit frère. Je n’ai pas passé beaucoup de temps avec lui. Je n’en ai aucun souvenir et cela me fend terriblement le cœur. Je suis une horrible grande sœur. J’aimerais tellement demander à la vie, une dernière journée avec lui. Pour pouvoir tout rattraper, tout se confier, avoir la possibilité de tout se partager, de s’enlacer, de s’embrasser… Et surtout, pouvoir lui montrait que je l’aimais. Car oui, je l’aimais mon petit frère. Même si j’étais hurlante, égoïste, amère, haineuse et que je pouvais me montrer parfois agressive avec lui, je l’aimais. Même si je pouvais faire quelques jours sans le calculer, je l’aimais.
    Même si je pouvais jurer que ce n’était qu’un pauvre petit connard, je l’aimais. Même si je le détestais, je l’aimais. Je l’aimais, comme je n’aurai jamais pensé l’aimer. Il était mon seul et unique frère. J’aurai dû voir cela comme quelque chose de précieux. J’aurai dû le protéger. Et cela me fait peur aujourd’hui. Car de sa mort, je ne m’en remets pas. Alors qu’adviendra-t-il de moi ? Comment ferai-je pour les jours à venir ? Qui peut m’aider ? Qui peut compléter ce manque ? Ce manque qui, me fait de plus en plus disparaître de ce monde ? Personne. Je suis seule.

    Ce matin, il est huit heures. Je ne sais pas quel jour nous sommes. Mes pensées s’étirent sur lui. Dans mon lit, je me recroqueville et me larmoie. Dans mon lit, je hurle. Je m’injure et j’arrache mon pyjama de désespoir. Je crie, car je ne comprends plus ce qui se passe. Mais qu’ai-je ? Je reste sans voix en me souvenant de lui. On frappe à ma porte. Sans attendre mon autorisation, on entre. À cet instant, je n’y compris rien : c’était lui. Debout, en face de moi, avec une tête d’homme moitié endormi. D’un homme… Plutôt d’un Ange. « Mais qu’est-ce que t’as à gueuler comme ça un dimanche ? Tu viens de t’faire plaquer ou quoi ?  » Je suis abasourdie, sans voix, bouche-bée et tout qui pourrait qualifier mon sentiment à cet instant.
    – J…… John ? JOHN ! Je lui saute au cou, il ne comprend pas ce qui se passe, mais moi oui. Je n’en reviens pas. Il est là. Et soudain, je m’en rappelle : je l’ai rêvé. Tout cela, mes sentiments rompus, sa mort involontaire, tout ça, ce n’était qu’un songe. Mais je m’en fous, rêve ou pas, le voir me rend heureuse. Le voir en vie, me rend tellement heureuse que j’en sanglote. Je l’ai sans doute vu hier, mais je ne m’en souviens plus. Pour moi, cela en revient à une éternité. Il y a cinq mois. Peut-être que cinq mois ne semblent pas être pour vous, une immensité. Mais la mort de quelqu’un, ça l’est. Je lui dis des mots ; des mots qu’il n’aurait jamais cru percevoir un jour.
   – Mais qu’est-ce qui te prend de me dire ça d’un coup ? Tu es devenue folle ou quoi ?
   – Je m’excuse John, je m’excuse tellement. Je suis une sœur horrible avec toi, je ne profite pas assez de toi, je regrette et je ne veux pas te perdre. Donc oui, je te le dis : Je t’aime John. Pas seulement par ce que tu es mon petit frère, mais par ce que tu es toi. Et sans toi, je ne me sens rien. Sans toi, je sens le vide à proximité de moi. Sans toi, je suis perdue, je suis dans le noir. J’ai besoin de toi pour vivre. Comme un médoc’, comme une drogue. Tu es une partie de moi et si tu pars, je pars avec toi. Tu dois sincèrement croire que je suis folle, mais crois-moi, c’est par ce que je réalise enfin à quel point c’est important de dire je t’aime à ceux qu’on aime avant qu’il ne soit trop tard, et je ne veux jamais que ça le soit. Je t’aime petit frère. Ah ça, oui que je t’aime !

[Nouvelle écrite le 14 mars 2016]

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